- Bonjour Eric. Tu exposes prochainement à la Galerie d'art érotique Concorde à Paris, avec d'autres artistes, sur le thème « Anges ou démons». Combien de toiles présentes-tu ?
- Je présente une douzaine de tableaux. Mais, il n’y a aucune toile, je travaille aujourd’hui exclusivement sur papier. Par amour de ce support.
- Et quelles toiles (pardon, quels papiers) présentes-tu ?
- Des nus féminins, qui retracent mes dernières années de recherche, de tâtonnement et d’expériences, depuis les aquarelles classiques, disons ainsi, jusqu’aux travaux les plus récents.
- La Galerie Concorde, qu'est-ce pour toi ?
- C’est d’abord une galerie qui n’a pas peur de présenter de jeunes créateurs. C’est assez rare pour mériter d’être signalé. C’est une galerie ouverte à tout type de créations. J’aime le côté éclectique des expos où cohabitent dans la paix, des photographes, des peintres à la facture réaliste et d’autres qui se rapprochent de l’abstraction, avec des créateurs qui sont plus dans le geste, le mouvement, la spontanéité voire le street art, le graph et le tag.
- Où as-tu déjà exposé, où a-t-on pu ou peut-on voir ton œuvre ?
- J’ai exposé à Paris, en Auvergne, à Vichy où une galerie m’accueillait en permanence jusqu’à ce que la maladie contraigne la propriétaire à vendre. J’ai aussi exposé à Berlin, Auxerre, puis à Marseille. J’y ai d’ailleurs récemment obtenu un prix, lors du salon de la critique, en 2010. Le prix de l’œuvre originale. Il est toujours valorisant d’être récompensé. Le président de jury était Georges Briata et la satisfaction vient du fait que le tableau récompensé a fait l’unanimité dans le jury. D’autre part, je suis à 100 lieues du travail de Briata et le fait qu’ils (lui et les membres du jury) aient repéré mon travail est extrêmement encourageant.
- Tu expliques souvent ne pas aimer parler de tes toiles, ne pas vouloir tenir un discours sur ce que tu fais. Pourquoi ?
- Je n’aime pas imposer une interprétation d’une œuvre d’art. Je n’aime pas que l’on transforme une œuvre d’art en concept. Parce que cela enferme l’objet artistique dans un carcan intellectuel qui l’étouffe et le prive de sa charge émotionnelle. A partir du moment ou une œuvre d’art est rendu publique, les spectateurs ont le droit, le devoir même d’y trouver ce qu’ils veulent. Qu’ils chargent l’œuvre de concepts savants ou qu’ils se laissent porter par leur propre conception du beau, peu importe. Je n’aime pas que l’on impose une vision de l’œuvre. Elle doit vivre par elle-même. Elle doit susciter émotions, réflexions et non pas servir de support au créateur pour lui permettre d’élaborer puis d’imposer des concepts qui visent avant tout un public soi-disant instruit et qui en fait n’est le plus souvent qu’une opération de comm !
Lors d’un vernissage, une dame âgée, un rien pédante, me demande « Quel est le message de vos tableaux ? » Un message, quel message ? Il n’y a pas de message ! Juste des questionnements qui sont les miens. Si le spectateur les perçoit tant mieux. Sinon, tant mieux quand même, pour peu qu’il ait du plaisir à regarder. S’il ne perçoit que des formes, des corps, qui lui apportent du plaisir, tant mieux. Si la technique, les poses, les mots, les thèmes, font sens tant mieux, s’il se pose des questions en trouvant ou sans trouver de réponse, encore tant mieux. Laissons à l’œuvre toute sa liberté d’expression et laissons-là aussi au spectateur, ne venons pas l’embrouiller en essayant de lui imposer des considérations qui viendront troubler son plaisir.
- Que peux-tu nous dire dans ce cas de tes réalisations ?
- Je privilégie le trait. Dans le cas des nus, l’élégance des formes, la suggestion, la séduction surtout quand il s’agit de gestes involontaires, l’énergie, la vitalité, le dynamisme des corps sont importants. Mais j’aime aussi l’abandon, le laisser-aller, la lassitude, la fatigue. Le corps exprime tant de choses. Il faut juste saisir le geste. Ce sont ces instants qui m’intéressent.
- Qu'aimerais-tu raconter aux personnes qui vont aller voir cette exposition ?
- Réveillez votre côté épicurien ! Dans un monde si dur, tellement intraitable, compétitif, rationnel, venez prendre du plaisir, qu’il soit dans la simple contemplation des corps, dans l’éveil du désir ou dans la réflexion que peuvent susciter les différentes compositions.
- Tu réalises des œuvres dans des séries comme « tyrannie de la plage » et « le sexe, c’est pas le pied, c’est les chaussures ! ». Pourquoi des séries ? Pourquoi rattacher les œuvres entre elles, qu'est-ce que cela apporte ?
- Ça me permet d’explorer un thème. C’est très intéressant d’un point de vue formel mais aussi du point de vue psychologique. L’exploration d’un thème, c’est tout à la fois une variété de poses et une variété de couleurs, de matières, de mots, de textures qu’il faut combiner pour exprimer une chose ou une autre par variation ténues. C’est très vivifiant au contraire, ça permet d’aiguiser son regard sur l’autre et d’avancer dans les recherches formelles.
- Est-ce que ce n'est pas se contraindre à rester dans un thème, est-ce que cela ne limite pas la créativité ?
- Oh là là, je ne me contrains à rien du tout ! Mon seul moteur, c’est le plaisir de peindre, pas de développer des thèmes et des idées. Je ne m’oblige pas à rester dans un thème. La preuve, c’est que j’en mène plusieurs à la fois. Et le plus souvent j’ai plusieurs tableaux portant sur plusieurs thèmes « en chantier » en même temps. Je vais de l’un à l’autre selon mes envies ! En particulier, quand je rate quelque chose, il me faut me jeter sur une autre pour compenser.
- Parle-nous des effets de matière ! Et puis des mots que l'on trouve dans tes tableaux : morceaux de papier journaux, graffites... Pourquoi des lettres et des mots au cœur de l'image ?
- Je n’aime pas trop la peinture trop lisse de mes débuts. J’ai donc développé une « recette » qui m’est propre (et dont je ne dirai rien !) qui me permet d’allier la transparence des aquarelles et des encres avec les effets bruts des matières, des griffures, des frottis, des couleurs que j’aime salir et du papier que j’aime tourmenter. Je trouve très intéressant l’idée de faire coexister sur un support, la douceur, la rondeur, d’un corps, ou d’une pose ou d’un trait avec la dureté de la matière. De même j’aime faire coexister l’image et le mot. Pour des raisons esthétiques, je trouve que c’est beau. Mais aussi parce que cela permet d’introduire des éléments perturbateurs dans le tableau, qui donnent ou contredisent le sens et poussent aux questionnements. J’aime bien introduire la contradiction dans le tableau. Dans mon dernier opus de « le sexe… » j’ai trouvé un titre d’article de journal : « dans le jardin secret » et une publicité « aux yeux de tous » avec une photo en gros plan d’un oeil. La cohabitation de ces deux phrases antinomiques et de la pose très érotique du modèle, c’est un peu une partie de ping-pong : on va d’une idée, à une image à une idée antithétique. Ça m’amuse beaucoup ! Au spectateur de faire le reste !
- Pourquoi l'érotisme ? Pourquoi le corps féminin ?
- L’érotisme ? C’est un aspect important de la vie. Je peins pour le plaisir, le mien et celui de mes spectateurs ! Je ne sais pas ce qui est érotique ou pas. Dans la série «le sexe et les chaussures», je demande aux modèles de prendre des poses très osées. Cuisses ouvertes. Plus précisément, les poses ne sont pas osées, c’est l’angle par lequel je les montre et la nudité qui rendent érotiques des poses qui en fait ne le sont pas. C’est juste une question de point de vue. Rien n’est caché de leur intimité. Mais ce que j’essaye toujours de faire dans cette série, c’est d’attirer l’attention sur autre chose que le sexe offert des modèles. Ça, c’est très érotique !
Pourquoi le corps féminin ? Vous êtes tellement belles ! J’ai un ami qui dit « les femmes sont tellement belles qu’elles devraient toutes être lesbiennes ! ». Donc, parce que j’ai plaisir à dévêtir les femmes tout en étant attentif à l’idée de ne pas les chosifier et de donner d’elles, de vous donc, une belle image. Souvent elles aiment ma peinture. Avec le corps masculin, j’ai beaucoup de mal à trouver des poses et des idées qui me poussent à peindre. J’ai essayé, j’ai fait des tableaux. Mais jamais rien de présentable. Mais là, je sens que je commence à trouver des angles d’attaques et j’ai des idées qui germent. Je dois les concrétiser avec des modèles. J’en ai d’ailleurs contacté un et sous peu sans doute il y aura une séance.
- Tu interviens en tant qu'illustrateur pour la collection e-ros avec deux illustrations de couverture à ton actif pour le moment : celle de Le Tourbillon de la vie (nouvelle de Katlaya de Vault) et celle de Chevauchements (nouvelle de Jean Claude Thibaud à paraître en janvier). Travailler à partir d'un texte, rendre les mots sous forme d'une image, est-ce facile ? Comment procèdes-tu ?
- C’est facile quand le thème me plaît, ce qui était le cas avec Tourbillon et c’est facile aussi quand c’est bien écrit, et riche, ce qui est la cas avec Chevauchements. Les idées me viennent vite en général. Sinon, elles ne viennent pas. Comment dire ? A mesure de la lecture, je vois apparaître les images. Ensuite, je recherche les éléments qui me permettront de concevoir l’image. Quand le matériau est rassemblé, je dessine les éléments séparément puis je fais des montages avec des outils informatiques. Enfin je propose l’ensemble à la directrice de collection, femme dynamique et délicieuse (note de Steph : merci!), elle corrige en me faisant gentiment remarquer qu’ici ou là il y a trop de seins où trop de fesses pour une couverture, je cache donc le sein en question et ensuite j’attends mon contrat !
- Quelque chose d'autre ?
- Je préfère être devant mes pinceaux que devant toutes ces questions ! Mais c’était un plaisir. C’est un peu contradictoire avec ce que j’ai dit auparavant, mais finalement j’aime bien parler de peinture !
Concorde Art Gallery, 179, boulevard Lefebvre, 75015 Paris. Métro porte de Vanves.
Du 16 novembre 2012 au 12 janvier 2013
Vernissage le vendredi 16 novembre à 19H00
Blog Les Carnets d'Eros : http://carnetsderos.canalblog.com/