La D/s serait donc un moyen de "changer de rôle" ? D'ôter sa peau pour en revêtir une autre (ou de l'ôter pour mieux laisser apparaître ce que l'on est) ? Dans quel mesure peut-on parler de jeu de rôle ?
Je me suis retrouvée face, d'après mes lectures, discussions etc., à deux situations totalement différentes : où l'on peut considérer la D/s comme une forme de jeu de rôle momentané au sein d'un couple principalement, où le rôle tenu par chacun peut varier, de dominant à dominé, de dominé à dominant, d'un jour sur l'autre voire dans la même unité de temps où se déroule le jeu OU considérer la D/s non comme un simple jeu mais une implication plus profonde de la personnalité de chacun, où les rôles de dominants et de soumis seraient fixes et ancrés dans l'être.
Le dossier "Psychologie de la domination-soumission" de Nouvelles tentations propose ainsi en complément un très intéressant témoignage sur la situation d'un couple qui revêt l'un l'autre un rôle changeant. Une personne pouvant ainsi changer de rôle est nommé "switch". Ce témoignage pourrait éclairer partiellement cette première situation que je citais. Discutant par la suite avec Dr Xu sur le sujet, je manifestais mon étonnement. Dr Xu, qui m'a permis de reprendre ses propos écrits dans le cadre de cette discussion, ne s'en étonnait pas le moins du monde, puisqu'il s'agissait de sa propre pratique de la D/s, dans le cadre de son couple. Je le cite donc :
"Pour moi, les deux rôles sont un jeu où seul compte le plaisir, celui que l'on donne ou celui que l'on reçoit, et c'est valable dans les deux situations. [...] Quand j'attache ma chérie, pour lui faire subir tous les plaisirs qui me passent par la tête, c'est pour son plaisir, et donc le mien : caresses, pincements, fessée.. [...] et si c'est elle qui me domine, je me contente de jouir de tous les supplices doux ou durs qu'elle me réserve. Je deviens passif au lieu de dominant. [...] Je me demande si ce que nous faisons n'est pas tout simplement l'amour."
Ainsi la D/s peut s'envisager avec simplicité, dans le cadre d'une relation amoureuse et peut revêtir un aspect essentiellement ludique.
Situation assez difficile à concevoir lorsque sa pratique est autre. D., avec qui j'évoquais la question, me donne ainsi sa vision du "switch" : "Je pense que ce ne sont ni des dominants assumés ni des soumis assumés et que les jeux de D/s ne sont pour eux que des jeux. Un dominateur (ou une dominatrice) ne se laisserait jamais soumettre, surtout par sa ou son soumis(e). Je ne me suis jamais posé la question, parce qu'elle ne me concerne pas, la seule fois qu'une femme a prétendu vouloir me dominer, elle s'est un peu cassé les dents..."
Nouvelles tentations d'expliciter ainsi : "Certains affirment : «Je suis absolument dominateur (ou dominatrice)», ou : «Je suis absolument soumis(e).» Leur problème, si l’on peut dire, est simple. Mais il n’y a pas que des personnes sûres de leur choix et de leur goût. On se rend compte en lisant nombre d’ouvrages, d’enquêtes, de témoignages, de forums – ce que nous avons fait - que de plus en plus de personnes sont moins «profilées», et que leur tendance est plus ambivalente. On dit alors qu’elles sont «switch», ou, en français, «versatiles». Autrement dit, qu’elles intervertissent les rôles."
Une question de profil ? De complexité liée à une personnalité double ? Et moi d'imaginer une sorte de Dr Jekyll – Mr Hyde de la D/s... L'étrangeté de cette perception m'a fait me poser des questions, encore, et lire le témoignage apporté par Monsieur Richard sur son blog : une jeune femme, soumise, qui s'essayait à la domination (mais en sa présence, presque sous sa direction, ce qui modère ce changement de rôle de la jeune femme). Je n'ai pas manqué de questionner Monsieur Richard à ce sujet qui n'avait pas de réponse toute faite pour cette situation : c'est une envie qu'il avait remarqué chez la soumise, il lui avait donc fourni lui-même de quoi satisfaire ce penchant en lui trouvant un soumis pour une première séance.
Une envie seulement ou un trait de caractère ? On peut ainsi apparemment trouver des personnes qui se jugent switch dans le cadre de jeux, la D/s étant partie intégrante de leurs jeux, mais de jeux seulement ou encore trouver des personnes qui revendiquent cette bivalence comme trait de leur personnalité.
Une situation particulière à noter vient dans la dualité d'une personne sur les deux dans le couple dominant/soumis. A l'exemple de ce couple où l'homme domine une femme qui ne se soumet qu'à lui, mais où celle-ci domine à son tour et soumet d'autres hommes. La femme exerce ces deux rôles sous des noms différents... Maîtresse Catharine / katy, puisqu'elle signe son texte "réflexion sur les switchs" de ses deux pseudonymes, s'explique : "Je suis switch, ce qui veut dire que je suis une vraie dominante et une vraie soumise. [...] Je suis les deux et je me sens bien de chaque côté. Je comprends bien les deux facettes du milieu et je me sens bien de chaque côté. Quand je suis soumise, je le suis avec tout mon cœur. Quand je regarde dans les yeux des mes soumis, je sais qu'ils savent que je suis leur Dominante."
Rien n'est simple, en définitive dans la relation de dominant à dominé et réciproquement. Et l'on peut s'interroger sur les prérogatives de chacun. Qui domine l'autre ? Si l'on en croit les paroles de D., la personne exerçant le pouvoir n'est pas nécessairement celle que l'on croit : « Pour ma part, et je l'ai toujours vérifié, je pense que le vrai "dirigeant" de l'association D/s est le ou la soumis(e). Puisque c'est lui ou elle qui définit les limites à ne pas dépasser, et c'est lui ou elle qui s'offre aux exigences de l'autre. » Sans compter que la relation à deux comporte volonté et désir de chacun, y compris le soumis ou la soumise. Un sujet du forum s et m s'intitule ainsi « ce que soumise veut », un autre « qui mène la barque ? » avec cette réflexion d'une soumise : « L'inégalité de notre relation cache en fait une profonde égalité. Les deux mènent la barque. Si je ne suis pas épanouie, si je ne me sens plus dans mon rôle, si je ne le trouve pas assez dominant alors je lui dis car j'ai l'impression de stagner et je ne me sens plus soumise. Ainsi, la relation prend un nouveau chemin de mon fait et j'ai l'impression à ce moment là d'être sortie un moment de mon rôle de soumise. » Mais est-ce réellement une sortie de son rôle ? Est-ce que le moteur de la relation n'est pas la personne soumise qui par sa soumission donne le pouvoir au Dominant ?
Imbroglio dont il est difficile de sortir...
Pour habiter ces rôles, qu'ils soient permanents ou versatiles, épisodiques ou exercés en continu (on trouve ainsi le sigle 24/7 pour signifier 24h/24 et 7 jours/7), faut-il se mettre dans la peau d'un personnage, adopter posture et costume ? Si bien des personnes se passent d'un « déguisement », certaines tenues peuvent être choisies pour soi et imposées à autrui dans le cadre du jeu (lingerie ou absence de lingerie, vêtements particuliers, matières particulières et c'est là que peut s'établir le lien avec une forme de fétichisme du cuir, du vinyle, etc., chaussures particulières comme des escarpins à plate-forme chez les dominas).
Spectaculaire, peut-être trop, puisque cet aspect pourrait cacher bien d'autres pratiques moins théâtrales, comme le remarque Aurora sur son blog dans son texte intitulé "BDSM, SM, Transgression et Déontologie: Les commentaires volatiles du blog "Les 400 culs" d'Agnès Giard": elle y recopie notamment un commentaire censuré sur le blog Les 400 culs. L'auteur du commentaire, Remy s'explique ainsi :" "SM "costumé" et des jeux de rôles, mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg ; beaucoup de gens se font dominer, attacher ou fouetter par leur partenaire sans pour autant revêtir des uniformes... Il s'agit alors de trouver du plaisir sexuel dans l'échange de pouvoir (power exchange, le fait d'autoriser quelqu'un à vous faire des choses ordinairement considérées comme "mal", et symétriquement, le fait de prendre le pouvoir sur quelqu'un) ou tout simplement dans la douleur ; il n'y a pas là la moindre caricature, et pas non plus de "simulation" ni de "second degré"." Ces déguisements, donc, certes existants, ne sont qu'une part infime de ce qui peut se faire...
Les déguisements eux-mêmes, lorsqu'ils existent, peuvent être utilisés en fonction des fantasmes de chacun : Maîtresse Patricia est notamment spécialisée dans le nursing, invitant ses soumis à se présenter avec une couche tandis qu'elle même revêt un costume approprié. Les rôles liant des professions exerçant un pouvoir ou des situations de la vie courante (avec infantilisation d'un personnage) peuvent donc être utilisées. Dans son guide Osez... la fessée, Italo Baccardi décrit ainsi des fessées punitives avec costumes (écolier, écolière notamment).
La pratique a ses partisans et ses critiques. MélieMélo dresse justement une critique qui me semble pertinente, je la cite donc : "Le sm, la Ds, qu'on appelle ces jeux comme on veut, je les conçois dans n'importe quelle configuration, mais pas dans ce rapport m'évoquant une relation pseudo-paternisante, la partenaire se déguisant en écolière d'école privée catho bcbg. [...] J'ai le sm aimant, amoureux, sexuel. Je ne m'imagine pas au coin les mains sur la tête, une culotte petit bateau aux chevilles, pour ensuite redevenir aux yeux du pater fouetteur une amante subissant avec envie, désir et jouissance des gestes qui sont tout sauf.. enfantins."
Dans le cas de figure d'une mise au piquet d'un ou d'une élève, il s'agit d'une mise en scène visant à humilier l'autre. Ce qui nous amène naturellement vers la question des pratiques.
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